Mars, 12. Mots saturés d'un sourire qu'elle perçoit même aveugle— lueur saveur malice, tendresse audible. Nana les déchiffre comme une évidence par-delà la pénombre de ses paumes ; aussi sûrement que si son regard était demeuré rivé sur lui.
Mais Hiro a orné l'escapade du sceau de la surprise. Bon gré mal gré, tintement de rire décoché jusqu'au ciel, elle a consenti à la cécité forcée, Nana, enivrée par la promesse d'un rien que nous deux.
Joggings amples des derniers jours troqués contre une parcelle d'âme enfantine et une facette plus féminine, elle résiste tant bien que mal à la tentation futile de percer les brèche de ses phalanges l'instant d'un coup d'œil discret. Mais la perspicacité de Hiro à son encontre a quelque chose de presque effrayant —à coup sûr il la cernerait.
D'ailleurs t'as une idée d'où on va là? Il questionne. Elle tourne vers lui son visage à moitié masqué par ses propres mains, vue directe offerte sur sa moue faussement offusquée, teintée d'un simili-ennui. Je saurais si je pouvais regarder, qu'elle réplique, ton caprice. Mais déjà ses commissures tracent une courbe inversée, dont l'axe désormais positif dément la plainte tout juste exprimée. Tout de même— On arrive quand ? elle répète une seconde, troisième, centième fois même, avant de se laisser aller contre le dossier allongé de son siège. Paupières bien closes, Sana s'accorde tacitement la liberté de chercher à tâtons le contact de Hiro— s'accapare la main qu'elle lui connaît l'habitude de poser sur sa propre cuisse lorsque le traffic est fluide et la conduite aisée. Leurs doigts se nouent avec l'aisance que confère une éternité d'intimité, quoique leur timeline commune ne compte que cinq mois révolus. Nana a tôt fait de délaisser la prise cependant ; s'évade en tracé d'arabesques joueuses, de la pulpe de ses doigts, sur la surface de la paume du brun. Et descend, descend se réfugier au creux de son poignet, en quête de la pulsation discrète de son pouls. Dans l'affolement subtile de ses veines, il lui semble déceler la raison de braver tout ce que peuvent avoir de tumultueux, d'alambiqué, les relations de couple qu'elle a si longtemps fuies avec véhémence. Il lui semble trouver, dans l'affection tangible qu'il offre sans compter, la réponse apaisant le moindre de ses doutes. Cinq mois sonnent illusoires dans le grand ordre des choses, mais au cœur de sa propre stratosphère, le même petit rien a des airs de tout: consonance d'une victoire, semblant d'accomplissement.
C'est bon, tu peux ouvrir les yeux. Le toucher de Hiro l'abandonne seulement pour se reporter sur son visage et, lorsqu'il dérape sur ses pommettes, puis à l'orée de sa bouche, elle l'emprisonne brièvement entre ses incisives joueuses. Je l'avais promis. Toi et moi, sans téléphone, pour un week end à la plage...Jusqu'à demain, elle acquiesce. Mais t'es sûr que tu tiendras tout ce temps sans ton équipe, sans ton coach et pire: sans Levi ? elle taquine. Son sourire lui ronge les joues lorsqu'elle lui picore les lèvres, et elle quitte l'habitacle sans s'encombrer de ses chaussures.
Saison oblige, une brise froide s'engouffre entre les pans de sa veste, lui mord l'épiderme. Mais elle vit pour les vastes étendues marines, Nana ; les embruns iodés et la caresse du sable, par tous les temps. Loin de battre en retraite, elle foule le sol meuble en une course éphémère, fait halte au bord de l'eau— là où s'éteint le tumulte des vagues. Tantôt ses pas coursent les trainées d'écume qui brunissent le sable et se désagrègent, tantôt elle recule à l'approche des nouveaux rouleaux qui se fracassent à ses pieds.
Un coup d'œil en arrière, main en visière pour barrer le soleil qui l'aveugle, et elle perçoit Hiro à contre-jour. Resté près de la voiture, côté coffre. Sana revient sur ses pas pour le rejoindre, se pose contre le véhicule, curieuse de ce qu'il y fait. A l'intérieur, couvertures et pulls supplémentaires se disputent l'espace. Aw t'as vraiment tout pré- han, damn... l'attendrissement vire navré à la vue du reste: casse-croûtes baladés au cours du trajet et tantôt éparpillés, tantôt comprimés entre deux couches de tissu. J'imagine que ça ne faisait pas partie du plan, elle grimace en saisissant une feuille de salade coincée au creux d'une couette pour la lâcher à l'extérieur, puis s'attelle à l'aider à chasser toute trace de nourriture de leur stock, avant de s'asseoir au bord du coffre pour l'attirer entre ses cuisses. C'est quand même une super surprise, elle assure en glissant deux doigts entre les passants de son jean. On n'a qu'à se poser à la terrasse d'un des resto en bord de mer ? No big deal.
Mars, 12. Outre les dialogues réduits en monologues, toutes ces fois où tu me laisses en tête à tête avec moi-même pour te consacrer à ton téléphone ? Ou les soirées auxquelles s'incruste une poignée de basketteurs tapageurs armés de bières et pressés de s'avachir devant un match ? elle dramatise, dos de la main posé à la surface de son front en une exagération évidente. Concède: D'accord, d'accord (et c'est, cette fois, quasi ronronnement d'évidente satisfaction), J'avoue tout: tu es presque parfait. Parce qu'ils savent l'un comme l'autre qu'il s'agit bien là de faits rares, de petits rien — accusations plus simulées que réellement pensées. Parce qu'ils savent fort bien l'un comme l'autre qu'il la comble, au quotidien.
Hiro; épitomé d'attentions, allégorie de tout ce qu'un homme peut receler d'égards. Elle a quelque chose de pétillant dans le regard, Sana, lorsqu'elle redessine ses traits d'homme, de ses iris chaleureux comme le ferait un pinceau : immortalisant dans l'âme, plutôt que sur une toile éphémère, des secondes d'éternité à jamais perdues une fois écoulées. Il y a là quelque chose d'entêtant— parfum capiteux de la tendresse qu'il déploie autour d'elle tel un manteau de soie et qu'elle lui retourne à la force de ses bras, et d'un palpitant ne connaissant la sasiété. La seule peine qu'il lui inflige vraiment, Hiro, est sans doute son refus de se livrer à cette manie, ancrée en elle, de matérialiser les émotions sous forme de présents ; cette façon de teinter les liens de redevance mutuelle pour s'assurer qu'ils ne flétrissent jamais.
Reste qu'il a cette façon bien à lui de cajoler le cœur, fascinant amalgame d'honnêteté, de prévenance et de tempérament, tous dosés avec art pour fusionner en un tout digne d'une élaboration d'esthète: mesuré, pesé, perfectionné, puis mis en action. Elle y trouve son compte, Nana. Dans la franchise des sentiments qu'il lui livre sur un plateau d'argent, pensant de ses mots les maux qui la rongent depuis longtemps. Hiro; qui de par sa constance, bannit les peurs d'abandon, phobie d'oubli. Hiro; qui délie un à un les nœuds de ses craintes d'acier, pour mieux en poser les chaînes à ses pieds. (Hiro qui, de la chaleur de son sourire, adoucit la peine longtemps étouffée (et si rarement exprimée) de n'avoir su inspirer une telle intensité au premier homme auquel elle ait offert son cœur).
Incident du coffre très vite réglé et sitôt oublié. Il l'arrache à son siège de fortune sans souci pour l'exclamation surprise, un brin outrée, qu'elle lui retourne ; ne lui laisse pas le luxe d'une opportunité de lui échapper. L'eau glacée referme sur eux son impitoyable étau, et les protestations tissées de panique mais constellées de rire boivent la tasse en même temps que Nana. Relents salins gravés sur la langue et incrustés jusqu'aux poumons lui semble-t-il, lorsqu'elle émerge avec au fond de la poitrine la brûlure d'un baptême brutal— et de tout l'amour qu'il lui inspire. Nam Hiro ! elle s'exclame pourtant entre deux quintes de toux, s'appliquant à le chercher d'une main aveugle tandis que la seconde s'attelle à chasser ses mèches trempées de devant ses yeux. Sel sous ses paupières, sel dans sa voix lorsqu'elle assure : La guerre est déclarée. Et de ses paumes faites remparts, armes de fortune, elle le bombarde inlassablement de brassées d'eau virulentes, pour le maintenir à distance.
Mars, 12. Simili-vindicte accentuée par son culot (Hamtaro, qu'il se moque, et Sana s'insurge de toute sa hauteur), presque aussitôt invalidée par son toucher velours. Prisonnière volontaire, mais pas trop, elle prétend se débattre, lutte contre ses propres commissures traitresses pour abattre le sourire qui menace d'y éclore. Sa mimique se veut offusquée, paupières lourdes et lèvres bougonnes lorsqu'elle détourne les yeux et fixe l'horizon pour l'ignorer de façon évidente. Presque. Mais— trop grand. Tout ce qui est plus grand que moi l'est trop, c'est ma version et je m'y tiens. Sa théorie, elle la martèle en pointant un index contre le torse de Hiro, imposant entre eux un semblant de distance qu'il abolit trop aisément. Et elle soupire faussement d'exaspération contre son cou, Nana, mais s'y blottit malgré tout. (Le mord en passant)
Frémissements le long de l'échine et à l'orée de son épiderme mi-glacée par le temps, mi-échauffée par le contact qu'il établit. Elle frissonne, un peu du fait de la brise assassine qui caresse la surface de l'eau pour l'orner de vagues, un peu de l'effleurement de ces paumes qui ne se lassent de la faire sienne. Sana qui pour lui consent à tout abdiquer, terrain conquis, et qui de ses bras à son cou, de ses lèvres sur les siennes, appose sa signature invisible à son tour, conquérante elle aussi. Allez viens, tu vas attraper froid.Un peu tard pour ça, elle taquine, amusée mais pas dérangée ; parce que tôt ou tard elle aurait achevé sa course juste-là, abandonnée à l'océan en dépit des interdits du temps.
Elle le course jusqu'à la voiture et c'est une lutte plus qu'une autre chose — de sa main à elle sur sa manche à lui pour freiner ses échasses de basketteur et prendre de l'élan à ses dépends, à ses paluches à lui sur ses hanches à elle, pour la ramener deux pas en arrière sitôt qu'elle prend miraculeusement (et si brièvement) la tête. Ils finissent échoués côte à côte de toute façon, flancs douloureux de trop rire et zygomates encore ivres des sourires de l'autre, et tandis qu'il l'enveloppe du tissu cotonneux d'une serviette, elle chasse quelques-uns des grains de sable qu'elle lui a mis dans les cheveux. Honnêtement je veux juste— mâchoire qui claque et rallonge les syllabes ; elle rit d'elle-même et appuie son front contre l'épaule de Hiro, les lèvres décolorées— m'enfermer dans la voiture avec toi, chauffage à fond, le temps de redevenir un peu moins bleue. Elle se détache pour contourner le véhicule, passer côté passager et tirer sur la poignée encore verrouillée. Je suis frigorifiée, prends tes responsabilités.
Mars, 12.J'ai bu la tasse, elle souligne — et de ses lèvres pincées par une désapprobation moqueuse s'échappe le lourd soupire d'une condamnée. Nana le chasse juste avant qu'il n'entre à sa suite, désigne de l'index le sable agglutiné sur leur épiderme. Glisse entre les phalanges de Hiro deux bouteilles à remplir d'eau de mer et resserre autour d'elle les pans de la serviette en quête de la chaleur déjà atténuée du tissu détrempé, tandis qu'il fait l'aller-retour pour s'en charger. S'en suit un rinçage improvisé à gestes pressés, rituel habituel qu'ils achèvent en mettant le chauffage au max et en tapissant les sièges de couvertures pour en adoucir les angles ; espace cosy improvisé. Cosy certes— mais étroit. Et s'il s'est tant plu à moquer sa taille qu'elle ne manque pas une seconde pour le narguer à son tour, tandis qu'il s'efforce de plier son corps trop long en une posture plus ou moins confortable, Sana maladroitement calée contre lui. Entrelacs de membres et de plaids jaillissant à intermittence en des angles étranges, sur fond d'amusement et de plaintes.
C'est confo, elle commente lorsqu'ils se lassent de batailler et s'immobilisent, elle écrasée contre lui à en perdre le souffle, et lui en équilibre sur le bord du siège, à s'efforcer de ne pas en chuter. Et ils éclatent à nouveau de rire, abdiquent— se redressent en position assise, réchauffés par le seul fait de s'être tant acharnés, mèches repiquant en tout sens du fait de leurs mouvements erratiques et de l'électricité statique des draps. Les yeux dans les yeux, commissures inclinées en sourires miroirs, cœur à cœur.
Ok, viens là, il offre finalement en l'attirant d'une main sur lui, l'autre s'attelant à gonfler une portion de tissu pour la placer entre la portière et son dos. Jambes de part et d'autre des siennes, Sana s'abandonne contre son torse, le visage au creux de son cou et lèvres égarées sur le velours de sa peau. C'est confo, elle répète, timbre sincère plutôt que chargé de sarcasme cette fois.
Ils penseront à s'installer à une table plus tard, pour partager un dîner en regardant le soleil épouser l'océan. À se délecter des charmes inégalables de haeundae, et des reflets parant la surface de l'eau à la tombée de la nuit. Mais pour l'heure, rien n'est plus éblouissant que le regard de Hiro, et aucun confort ne supplante celui de ses bras noués à la taille de Sana.
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