Je n’ai pas pu rester les bras croisés. Eunice était si déçue hier soir que j’ai même pas osé me montrer. D’après ce que j’ai compris, c’était que Haneul, son copain lui avait posé un lapin la veille de leur date. Apparemment il avait eu un « empêchement ». Autant je trouvais que ce type était assez chelou des fois, mais voir Eunice aussi déçue m’avait tiqué.
Personnellement, j’étais certaine qu’il y avait baleine sous caillou -anguille sous roche-. Le gars il ose ne pas se pointer mais pour quoi faire ? Pour aller voir son ex là. Eden. Je l’ai déjà croisée Eden, parce qu’elle et moi faisons parties des Pistols, et il faut se le dire que je la connaissais à peu près. Et cette nana était plutôt sympa du moment qu’elle te crachait pas dessus. Bref, Eunice n’était pas dans son assiette. Tôt le matin elle a reçue un message de Haneul qui lui demandait de le retrouver à telle heure et tel endroit: sûrement pour lui présenter ses excuses et pour lui sortir une excuse bidon. Mais moi, je ne suis pas dupe. C’est pour ça que j’ai décidé de prendre la place de Eunice, de me présenter à Haneul comme étant sa petite-amie. Après tout, cela fait plus de 10 ans que je vis dans son corps, ce n’est pas comme si je ne la connaissais pas du tout. Il n’y allait voir que du feu.

Assise à la table, j’attendais Haneul. Quand j’y pensais, il était bien sympa, vraiment, mais si c’était pour faire du mal à Eunice, il était hors de question de le laisser continuer son petit jeu. Je soupire, il est dix heure et demi et Haneul devrait arriver d’une minute à l’autre. Et Dieu sait si j’avais envie de le secouer et de lui demander s’il était con ou pas.
Je le vois arriver, il a l’air plutôt déconfit, très désolé, mais je garde la tête froide et le regarde.

« Salut ».

C’est tout. Une femme doit savoir comment faire ressentir toute sa colère et sa rancoeur en un seul mot, une expression. Et c’est fait. La pauvre Eunice, elle va encore plus me détester.

« Mh…Je peux savoir où tu étais hier soir pour totalement me laisser en plan ? » enchaînai-je toujours aussi calmement, bien que froide.

Ok, Haneul était policier, donc il aurait très bien pu avoir un empêchement de dernière minute, mais il aurait prévenu, là, rien du tout. Niet, nada, le trou noir. Je pensais que Eunice lui avait demandé de lui dire où il allait s’il était amené à intervenir pour son boulot, mais planter sa petite-amie pour leur rendez-vous sans rien dire, ça c’était franchement dégueulasse. Je lève les yeux de mon café fumant, et plonge directement mes prunelles dans les siennes afin qu’il me réponde, je l’espérais en toute honnêteté.

Mes lèvres se pincent. J’avais vu juste en plein dans le mille, et c’était insupportable. Il était allé voir son ex qui avait eu « besoin » de lui. Assez pour que lui plante Eunice comme une idiote. Ça m’insupportait. J’en avais le sang qui bouillonnait mais je me hâte de garder mon self-control. J’avais envie de venger Eunice qui en avait été malade presque.

Un rire sort de ma gorge sèche. « Assez d’événements en effet pour t’empêcher ne serait-ce que de m’envoyer un message. » C’était assez triste comme excuse, mais il disait la vérité. Du moins je le pensais.

« Je ne ferais pas de discours de la petite-amie jalouse parce que je n’ai pas envie de montrer une piètre image de moi en ce moment. »

Je retire doucement ma main en m’adosse sur le dossier avant de me pincer l’arête du nez.

« Tu sais quel effet ça fait de se faire prendre en pitié par un restaurant complet ? Eh bien c’est assez désagréable. »

Je lève les yeux avant de sentir un mal de crâne surgir de nulle part. Ah non, pas maintenant Eunice. J’essaye de contenir la douleur mais abandonne assez rapidement pour aller dans les toilettes des filles sans prévenir Haneul. Je sais que Eunice ne voulait pas qu’il le sache, pas maintenant, alors au moins, j’essayais de le cacher.

Enfermée dans la cabine des toilettes, je me tiens la tête. « Putain…Eunice…Pourquoi tu reviens maintenant ? » grognai-je en me mordant la lèvre, essoufflée par la douleur qui me fait lâcher prise.



Elle est partie. Bona. J’ai réussi à reprendre le dessus. C’était tout aussi désagréable que je le pensais. Mais au moins, je savais ce qu’il se passait, je n’étais ni « endormie » ni réellement « partie ». Je prends le temps de me calmer, et de sortir des toilettes pour voir l’homme que j’aimais depuis quelques temps maintenant, mais que j’aimais assez pour lui dire un jour mon secret, ce si lourd secret qui me ronge. Je m’étais toujours posé la question, de savoir si c’était la bonne solution de le lui cacher ?
Je lui souris vaguement et me rassois face à lui.

« Excuse moi, je ne me suis pas sentie très bien » dis-je en prenant une bouffée d’air, la voix étouffée.

Je reprends sa main dans la mienne, cette main si chaude et douce et pourtant si grande comparée à la mienne.

« Je ne t’en veux pas, j’ai confiance en toi…Je veux dire, par rapport à Eden, ou à n’importe qui d’autre. Mais j’aurais aimé au moins que tu me préviennes. »

Je prends une autre inspiration avant de boire une gorgée du liquide brûlant et de dire après un long moment de réflexion.

« Haneul, j’ai quelque chose à te dire ».

Je pesais mes mots, un par un, comme si j’avais peur de le briser avec ces mots qui bientôt aller lui faire ouvrir les yeux sur qui j’étais, qui nous étions. C’était le moment de tester si effectivement, ma confiance en lui était justifiée ou bien si comme les autres, il allait me prendre pour une folle, pour…une gamine perdue qui voulait se rendre intéressante à ses yeux.

Je serre ses doigts entre les miens en priant les dieux pour qu’ils me viennent en aide, de ne pas craquer et de me rabrouer comme je le faisais souvent par peur du rejet.

« En fait…Depuis que je suis petite…Je suis…malade »
Malade était le mot, mais la maladie qui me rongeait n’était pas de l’ordre du concret, du moins scientifiquement, on ne pouvait pas me guérir par des médicaments, des opérations chirurgicales. Si seulement.

Je jauge son regard qui m’incite à continuer, à lui parler sans crainte. Je ferme les yeux et énonce distinctement mais lentement.

« Je suis atteinte de trouble de la personnalité multiple. Pour faire simple…J’ai une autre personnalité qui prend ma place de temps en temps. Et c’est elle que tu as vu il y a quelques minutes ».

Les dés sont jetés, le silence est pesant, je n’ai plus qu’à accepter sa réponse.