Poupées oubliées sur le côté.
Poupées troquées pour les petites voitures colorés de ton frère aîné.

Enfant obsédée par la construction de petit parcours de course, de faire aller ces petits bouts de plastiques toujours plus vite en imitant le bruit d'un moteur avec ta bouche. Les cheveux longs, les grands yeux innocents, les robes fleuris et pourtant tu préfères ces jouets normalement réservés aux garçons. Ta mère réprimande, redonne ses jouets à ton frère pour forcer les poupées entre tes doigts, mais tu n'en veux pas. Ce n'est pas que tu les détestes, tu aimes bien y jouer par moment, sauf que ton cœur valse pour ces objets à quatre roues.

Héro de tes jeunes années, ton frère te propose de partager ses babioles qui te font rêver. Il devient un phare dans la nuit au même titre que cet autre garçon représentant l'illustration de ton meilleur ami. Ils sont deux dans ta petite vie, deux que tu aimes autant l'un que l'autre pour ce faible aspect sécuritaire qu'ils t'apportent lorsque les autres chuchotent derrière ton dos.

On dit que tu n'es pas normale.
On dit que tu es brisée, étrangère à ta réalité.
On dit que tu essaies de faire ton intéressante.

Tout ça parce que tu portes des robes avec une belle élégance, parce que tu adores lorsque ta mère passe une heure à te coiffer, mais ce qui cloche c'est ton favoritisme pour ces jouets masculins. Pourtant, tu n'aimes pas les petits soldats. Tu n'aimes pas ces jeux de guerre. Tout ce que tu vois dans la chambre de ton frère sont ces modèles miniatures de véhicules. Sauf que ton frère est là pour ramasser derrière toi, pour prétendre que c'est lui qui insiste pour que tu acceptes de jouer avec lui puisque vous n'êtes que tous les deux dans ce petit appartement aux murs de papier qui deviennent encore plus minces lorsqu'il tombe malade.

Les moindres économies familiales partent en fumée pour ne laisser que cendre derrière elles. Frappé d'une leucémie, les finances ont du mal à suivre le rythme pour permettre de payer les frais encourus par cette situation. Et elle monte cette tension entre vos parents, elle grimpe vite et haute. Les engueulades devenues coutumes, les prises de tête un constant fond sonore à ta vie.

Un matin, ta mère n'est plus là. Il ne reste plus que ton père effondré dans cette pièce minuscule qui sert de salon. Jeune adolescente, tu ne peux rien pour lui, rien pour ta famille fragilisée. Alors, tout ce que tu peux faire, c'est décroché des sourires à ton père pour lui assurer que tout va bien de ton côté et rendre des visites interminables à ton frère dès qu'il a le malheur de se faire hospitaliser une énième fois.




Des mots doux, des cadeaux et une multitude de petites attentions.
Des compliments au creux de l'oreille, des caresses aussi légères que les ailes d'un papillon.
Des sourires qui font rêver, qui font sentir que tu es quelqu'un, que tu es désirée.

Tu tombes dans le panneau, dans les filets de ce prédateur aux promesses interminables qui font rêver ce cœur d'adolescente qui martèle au fond de ta poitrine. Toujours plus de cadeaux, des pièces de vêtements qui font briller tes yeux sous les remerciements. Un jeu de manipulation auquel tu restes aveugle, une morsure venimeuse qui tu ne vois pas arriver avant d'avoir le nez devant le fait accompli. Une tentative de raisonnement, plus de belles paroles, de compliments ajoutés sur la montagne pour te faire croire à un amour qui n'est pas réciproque. Une mention quant à la situation de ton frère et la sombre réalité que tu pourrais faire plus si tu l'aimais vraiment. Tu fuis avant qu'il ne soit trop tard, tu t'écorches le cœur à comprendre qu'il ne veut que te manipuler et tu disparais aussi vite que tu le peux sans regarder derrière.

Jeune, stupide et naïve.
Jeune, têtue et déterminée à croire que les autres se trompaient à son sujet.

Forcée de ravaler ta fierté. Obligée de cogner à la porte de la seule personne à qui tu voueras toujours la même confiance aveugle. Keon. Il est là, présent, épaule sur laquelle tu peux t'apitoyer l'espace de quelques secondes en avouant, en déballant ce sac par rapport à cette stupidité de ta part qui te dégoûte.

Et pendant plusieurs mois, tu te détestes. Avidement, cruellement. Haïssant se reflet que tu croises dans le miroir pour avoir cru en un inconnu, pour avoir porté confiance si facilement, pour t'être laissée berné par des beaux yeux qui sont presque parvenus à ne faire de toi qu'une poupée de chiffon. Il a essayé de reprendre le contact, de revenir vers toi, de tendre cette main si douce qui ne veut pas de mal, mais tu as craché sur celle-ci. Il n'a pas hésité à te souiller, à profiler des rumeurs à ton sujet, à détruire cette réputation dorée qui tu avais mise des années à construire.

Parce que tu n'as pas voulu vendre ton corps, ton précieux univers de porcelaine soigneusement batti s'est effondré.


Cœur en miettes.
Cœur écrasé.
Cœur à vif.

Les mois qui ont suivi cette rupture difficile n'ont cessé de te presser sur les épaules de plus en plus lourdement au fil des jours. Réseaux sociaux noyés de fausses rumeurs, de ces commentaires te traitant de tous les mots dégradants. De ces termes décrivant ta personne comme un être souillé, comme une catin, comme une pute qui se serait offert pour des billets.

Et ce qui faisait mal, c'était le fait de savoir que tout était faux. Que tu n'avais pas commis ces gestes que ton ex affirmait pourtant. Ta parole contre la sienne, mais qui veut écouter la voix de la victime lorsqu'il est plus aisé de lui cracher dessus ? Malgré le support de tes proches, malgré leurs tentatives de te faire regarder devant et non derrière, tu as fini par comprendre que la seule personne pouvant te prendre en main, c'était toi.

Au diable de te confondre en excuses pour tes proches attirés dans ce merdier avec toi.
Au diable de ne plus prendre ta défense.

Un long processus enclenché pour retrouver cette confiance, pour oublier les bruits qui courent à ton sujet, pour te remettre sur pied. Que ces larmes coulant sur ta peau cessent, que tes yeux ne connaissent que le scintillement de l'excitation et la joie. Une toute nouvelle carapace, malléable et rigide à la fois, une identité reconstruite pour devenir cette femme prête à se lancer à l'aventure qu'importe les dangers. Pour être cette femme qui n'a pas peur de dire non, qui ne craint pas l'homme qui la saisit trop fort par le poignet lorsque la lune veille sur la ville, celle qui se relève à chaque fois qu'elle termine nez premier dans la poussière. Trop jeune pour accepter la défaite, trop jeune pour accepter que la vie soit un long parcours de déceptions.

En quatre ans, tu as su mettre le feu à tes cendres pour mieux renaître et mener ta vie comme tu l'entends plutôt que d'attendre l'approbation d'un être choisi par ton cœur battant qui ne sait prendre que de mauvaises décisions.