Gouailleurs, les rayons du soleil l’extirpent de sa somnolence. Yujin se défait des feuilles de cours collées à sa joue rougie par la position inconfortable sur le bureau. Il regarde par la fenêtre – d’où il s’attend voir surgir Sejun à tout moment pour lui sauter à la gorge et l’étrangler. Mais c’est le cellphone qui vibre et s’agite dans la corbeille à papier – le visage d’un Sejun méconnaissable sur une photo prise au dépourvue s’affiche toutes les secondes.
S’être laissé empoussiérer par les piles de cours qu’il n’a pas spécialement besoin de relire – juste une excuse pour rester enfermer dans la chambre sombre à toute heure de la journée- ne lui semblait pas aussi épuisant, lorsqu’il se contentait d’y penser. Faut-il préciser qu’il ne s’attendait pas à ce que Sejun soit aussi long à venir le cueillir par le col pour le traîner en dehors de la grise villa ? Le garçon n’aimait absolument pas l’endroit dont les hôtes ont toujours su le chasser avec brio et violence ; cela ne l’empêchait pas, généralement, de venir s’y aventurer, pour la bonne cause. Yujin esquissa un sourire en repensant aux visages de sa mère et sa sœur lorsqu’il évoquait le nom de son meilleur ami, ne serait-ce que pour rappeler son existence. De tout son être, sa mère abhorrait la relation qu’entretenaient Yujin et Sejun – d’ailleurs principale raison pour laquelle elle avait congédié la mère de Sejun. Cela n’avait pas empêché à l’amitié de garder son cours naturel.
Yujin se contenta donc d’ignorer les messages colériques et frappa machinalement de son index éveillé : busanjin-gu, dans 1 heure. Ce qui signifiait que sa présence serait appréciée dans ce bâtiment presque vide dans un coin désert des rues des Busan. Un bâtiment désaffecté ? Abandonné ? Trop coûteux à entretenir ? Il n’en savait rien, Yujin. Tout ce qu’il savait, c’était que l’endroit était peu fréquenté et que Sejun y trouvait toujours des trésors lorsqu’ils étaient gamins.
Ca déchirait un peu le cœur de Yujin, de repenser aux souvenirs dorés.
Il lui fallut exactement une heure pour arriver.
« En avance ? Je t’ai manqué ? »
Il tend presque la joue pour recevoir la sentence. Quel petit con. Le sourire narquois laisse apparaître des bagues d’acier qui reflètent les rayons timides d’un soleil de fin d’après-midi.

Deux, trois. Trois. Oui, trois jours que Sejun n'a pas vu Yujin. Il a le cerveau en ébullition, les yeux rivés sur son portable. Les doigts qui veulent bombarder l'autre de textos. T'es où, tu fais quoi, tU FaIs QUoi, pourquoi t'es pas là. Mais là, Sejun continue de penser. Ou du moins d'essayer parce qu'on lui a souvent répété qu'il n'était qu'un idiot. Là il planche sur ce devoir de maths, essaie de résoudre les équations mais ça n'a aucun sens pour lui. Il y a le bruit de la télé qu'il arrive à entendre depuis sa chambre. Et puis toujours le bordel ambiant - frère, sœurs; ça parle, ça crie, ça rit et les voix résonnent. Et Sejun il décroche, finit par repenser à Yujin. Il finit une expression de gamin en colère sur le visage, il en casse même la mine de son crayon en faisant la moue. Alors il démissionne, lâche tout. Se dirige en tornade vers le salon pour s'incruster dans le vif échange familial. Ils débattent (se battent) pour le programme télé. Famille d'idiots, peut-être bien. Dans tous les cas, ça finit en bataille sauvage. Sejun, vainqueur - la télécommande entre les doigts. Mais quelques minutes passées à regarder la télé et il en a déjà marre. Il se décide à envoyer des messages - agression mais Yujin le mérite. Sejun, c'est le genre à en envoyer plusieurs de suite pour finir ses phrases, continuer à emmerder (à être en colère). Mais Yujin ne répond qu'une phrase, de quoi le faire hurler en plein salon. Mais personne ne dira rien, c'est habituel dans cette maison.
Direction busanjin-gu; dans une heure; Sejun qui serre les poings, se prépare à sortir les crocs pour lorsqu'il le verra. Rendez-vous dans le bâtiment des trésors, là où il a trouvé monts et merveilles avec Yujin. Là aussi où il lui fera peut-être la peau, personne pour l'en empêcher. Sejun déteste que Yujin le mette de côté ou l'oublie. Il doit toujours lui rappeler qu'il existe. Alors pour ça, faut crier, mordre, pousser, tirer et aussi prendre dans ses bras, serrer très fort. Yujin est à LUI. Ce n'est pas à oublier, personne n'a le droit de lui voler. Surtout pas cette fille là.
Et les pas déterminés, il le voit arriver. Moue boudeuse, colère montante. « Et moi je t'ai manqué ? » Il commence déjà à crier comme un automatisme. Et dans ces instants-là, il déteste le sourire de Yujin. Il arrive vers lui, l'attrape par les épaules et le secoue. « Tu ne m'aimes plus c'est ça ? » Dans la démesure directement, aucun filet de sauvetage. Il continue de le secouer, Yujin un objet. « C'est qui cette fille ? » Continue t-il. Et puis il décide de laisser son poing cogner le bras de Yujin. « Arrête de sourire. » Gamin, il voit même pas que le sourire semble moins brillant qu'il y a quelques instants; à vrai dire avec ce soleil, il n'en sait rien. « Je suis là moi. » Les dents qu'il voudrait planter dans Yujin; l'impulsivité qui fait rage. Mais il n'en fait rien. Petits coups par petits coups, il se soulage légèrement. Il ne frappe pas spécialement fort mais ça devrait quand même faire effet. « Parle Yujin. » Presque un gémissement; toujours dans cette démesure. En l'attente du câlin pour satisfaire son côté clingy.

Même quand il lui pose une question Sejun renverse les positions et se met dans le rôle de l’interrogateur. Celui qui cherche. Celui qui veut savoir. Il veut savoir si. S’il lui a manqué. S’il ne l’aime plus. S’il faut pousser la silhouette frêle pour obtenir des réponses aux questions qu’il martèle contre son ami de toute une vie. Sûrement qu’il a besoin de reprendre sa place dans cette danse que Yujin avait mise en pause jusqu’alors. Sûrement que ça lui plaisait, de se faire possesseur d’un Yujin qui répondrait sans broncher à ses questions – même les plus embêtantes, même les moins pertinentes.  Comme s’il avait horreur de ne pas savoir une, deux, trois choses concernant Yujin, il en oubliait que son plus secret – celui connu du monde entier – se tenait sous là, entre ses mains. Mais il se contentait d’ignorer. Et Yujin se laissait porter, comme si de rien n’était, par une valse à la fois si lente et trop rapide. Parfois Yujin se demande s’il survivra – tous les jours, toutes les nuits – avec ce fardeau. Le pauvre chou.
Parfois, du haut de ses dix-huit ans, il pense à l’amour, l’éternel, l’incassable.
Et il a peur de le détruire, de ses doigts trop maladroits, de ses mains cassantes. Dans un autre monde, un monde moins con, un monde moins complexe, il prendrait Sejun par la main et le tirerait tout contre lui. Mais le tapageur se tenait là et frappait du point contre l’invisible – contre le bras, contre le torse, contre Yujin tout entier.
« Bien sûr. » il recule sur une marche de pierre pour surplomber son ami. « Tu connais la réponse – ou plutôt LES réponses, Jun. »
Il se laisse secouer – peut être bien qu’il se sent revivre, entre les mains actives du garçon coléreux. Sejun accuse, Sejun crie silencieusement. Les yeux de Yujin font un tour complet. Les mots de Sejun sont plaintifs, agacés, presque trempés d’une tristesse difficilement perceptible. « Hyomin. La fille, c’était Hyomin, longue histoire. Ses parents amis de mes parents puis plus du tout puis de nouveau. Une routine sans intérêt. »
Il attrape les poings de Sejun et les serre. « T’as pleuré ? » il sourit de plus belle, les yeux brillants, les pommettes en feu. « Sejun ! »
T’as les yeux rouges SEJUN.
Yujin s’en veut.
Il se mord les lèvres.
Amorce le câlin, attend la bourrasque.

Sejun, gamin depuis toujours. A la maison, on ne dirait même pas qu'il est l'aîné tellement les débats qui y sont lancés sont immatures, futiles. Lui, il est habitué à ça, à ces gamineries. Peut-être pour ça qu'il garde ce tempérament sauvage, jeune. Il ne suit pas vraiment les codes, se laisse porter par la marée, le vent. Il va là où son cœur lui dit d'aller. Et là, l'organe est bouillonnant de colère. ça palpite, encore et encore. Sejun, il se perd dans des questions. Il joue l'interrogateur, gamin à la voix qui s'élève. Il persiste, secoue, pousse, cogne. Il s'exprime avec les mots et les gestes - comme il peut à vrai dire. Et il a envie de sourire à la réponse de Yujin. C'est un gosse satisfait de ce qu'il entend. Le manque, commun. Il ne pouvait rêver mieux. Tellement sur un nuage pendant deux secondes qu'il oublie, ne fait pas attention à la suite. Les réponses. Ah oui; ça revient tranquillement. Il continue tout de même de secouer Yujin, pas envie d'arrêter. Il avait pas le droit de l'ignorer, il fallait qu'il paie. Tempête mais le calme viendra; il se déchaîne encore un peu. ça redécouvre le corps de Yujin, pas forcément plus fort que le sien. L'autre finit par monter une marche, par le surplomber. Sejun le regarde d'en bas, métaphore de leur relation. Lui, en bas ; Yujin, en haut - chacun à son niveau. Et Sejun continue de parler, conversation qui ressemble plus à lui qui ne fait que de se plaindre, qui quémande l'attention dont il a besoin.
Hyomin. Elle n'avait pas intérêt à lui voler Yujin, c'est tout ce pourquoi il s'efforça de retenir ce prénom donné par Yujin. Et sans même connaître cette fille, Sejun arrivait à en être envieux.
« T'as pas intérêt à préférer cette Hyomin à moi. T'as pas le droit. » C'est comme une évidence pour Sejun. Yujin ne PEUT pas. Non, parce que les choses doivent rester ainsi. Soit eux deux ensemble. Elle ne ferait qu'agrandir le fossé qui se crée parfois et que Sejun hait au plus haut point. Il fait la moue mais celle-ci se dissipe lorsqu'une idée lumineuse - ou plutôt un désir naît. « On aurait dû aller faire du bateau ensemble, tu sais très bien qu'avec moi tu ne risques rien. » Mensonge, certain même. L'impulsivité de Sejun, son côté sauvage; que des risques mais Sejun avait envie de passer du temps avec Yujin, de lui casser les oreilles alors qu'ils seraient perdus sur une belle étendue d'eau.
T'as pleuré ? Il le regarde, moue qui revient. Différence avec Yujin parce que lui, il sourit. Il a du rouge, des tons rosés sur les joues. Et puis son prénom est entendu. Il s'apprêtait à répondre mais Yujin l'en empêche. Câlin amorcé et Sejun n'attendait que ça. C'est naturellement qu'il se laisse aller, que leurs corps semblent se retrouver. L'étreinte - Sejun serre fort (trop) quitte à étouffer un peu Yujin. Et le silence dure peu. Parce que toujours dans les bras de Yujin, il se remet à parler aussi vite qu'il a arrêté. « Je pleure jamais moi, c'est toi. » -- le sourire qui revient progressivement. Gamin qui va dire les mots dont il ne peut soupçonner l'effet. « T'es à moi Yujin, MON meilleur, MON Yujin. » Ses mains se perdent dans le dos du garçon, de quoi serrer plus fort. Sejun doit bien lui rappeler qu'il existe et cela par tous les moyens.

Yujin acquiesce. Il fait des mouvements de têtes encourageant le raton à planter ses griffes dans son dos. Oui Sejun, on ira faire du bateau ensemble. Oui tu pourras me jeter par-dessus bord – je n’en ai que faire, après tout. Prends tout, Sejun.
Yujin étouffe – pas spécialement à cause de cette étreinte meurtrière à laquelle il est habitué. Il veut tousser pour reprendre son souffle, se contente de crever un peu plus dans les bras de son ami ; c’est là qu’il meurt. La violente caresse dont il a toujours su se délecter tout en rappelant au cœur que l’intention est floue, que le gamine ne sait pas ce qu’il veut dire, que Yujin fait office de hochet favoris, de sucrerie qu’on garde pour un plus tard qui ne viendra peut-être jamais – car il pourrira bien avant. « Tu m’fais mal Sejun. » il pleurniche en poussant et se débattant. Yujin se sent écrasé. Il ne répond pas vraiment aux déclarations de son ami. Il lui fait mal, plus spirituellement que physiquement. « Aiiiiiie ! » Yujin est SIEN. Alors il crèvera dans ses bras qui l’étranglent. Puis il défait l’étreinte et se laisse tomber sur une marche d’escalier. « Je meurs. » il s’écrase. Reprend son souffle. Lève le regard vers Sejun. « Dis tu as faim ? » il n’attend pas vraiment de réponse, se contente de relever son corps osseux et de se tourner vers la sortie. « On ira faire du bateau ce week end, s’tu veux. » il ébouriffe les cheveux. Attends de Sejun un sourire ou au moins une esquisse, une grimace prouvant son incapacité à gérer ses émotions. Lui, n’a pas vraiment le temps de s’attarder sur les détails. Il pourrait faire hurler Sejun, lui dire qu’il a fait exprès mais il préfère garder le détail pour une autre fois. Yujin sait à quel point il est facile de changer de sujet, avec Sejun.