“douce nuit au son de ta respiration.”

featuring suji

l'étau se referme de secondes en secondes. gorge asphyxiée, cœur désœuvré, amertume amplifiée. dans le bol, les ramyeon sont froides, pâteuses et si peu attrayantes qu'il ne cesse d'y plonger les baguettes sans pour autant ne porter ces dernières à ses lèvres pincées. cacophonie dévastatrice à ses tempes et son sang qui bout et bourdonne ; les soupires à répétition, comme en perdition. âme errante dans une enveloppe physique paralysée. son menton contre la paume de sa main, ses dents qui martyrisent ses croissants de chair abîmés d'assauts précédents. les orbes flamboyants, animés d'un espoir déjà éteint qui, pourtant, ne cesse de se raviver. ces astres nébuleux se refusant à se détacher de l'écran de son smartphone dans l'espoir idyllique d'une réponse, en vain. l'inquiétude menant à la pente sinueuse de sentiments néfastes, et en quelques secondes, la colère qui secoue sa poitrine avec violence. les pires scénarios imaginables, et même ceux que l'on ose imaginer. les gestes tremblent et la voix, déjà rauque, se brise dans un feulement vénéneux lorsqu'il repousse le bol vivement. voulait-elle le quitter, à ainsi se montrer fantomatique ?

les yeux d'aleksei se posent sur elle ; il glapit d'un son inaudible et fronce ses sourcils. surpris ; étonné et désappointé de la trouver face à lui, au cœur même de cette cuisine qu'ils partagent pourtant, et dans laquelle elle devait se trouver depuis le début. hors, il ne l'a pas vue ; hors, il ne la voit plus. la colère, elle aussi éphémère, se mue en une contrariété nouvelle. un semblant de désolation pointe en ses prunelles lumière-charbon et, bien que peu sincère, le russe se force à étirer ses lèvres abîmées en un sourire. « je t'avais pas vu, Su. » à l'aube de l'âge viril, il se rattache pourtant à l'enfance de son passé en creusant ses joues, la moue coupable et les cils charmeurs dans l'unique but d'être gracié de son erreur. « je vais me faire un café. tu en veux un ? » sans même se satisfaire d'aucune réponse que ce soit, l'aveuglé se relève et glisse derrière le corps de son amie de toujours dans l'espoir à la fois d'attraper les tasses, mais surtout de nicher son menton sur son crâne. sa main libre s'ancrant naturellement sur sa taille, imposant sans s'imposer pourtant une étreinte discrète. si désolé d'avoir peu à peu fermé les yeux sur elle, et si désolé de s'en contenter pourtant. le désir d'un pardon vain, et les bonnes intentions qui disparaîtront sans doute dès l'écran d'un portable se manifestant de sa lumière. « j'allais regarder un film sur mon ordi... tu veux me rejoindre, ou qu'on se pose au salon ? ça fait longtemps qu'on a pas fait un truc, rien que tous les deux. » à qui la faute ? le sourire qu'il lui adresse, si lumineux, si bienveillant, si chaleureux ; si prompt à disparaître sans prévenir. et en même temps si éclatant, lorsqu'il est pour elle et elle seule.

“douce nuit au son de ta respiration.”

featuring suji

Ses opales sombres caressent les courbes de son visage sans qu'il ne l'aperçoive. Discrète et pourtant prête à être découverte, elle le regarde sans filtre, sans masque. Et la voilà prise de cette sensation piquante, creusant un peu plus le trou béant dans sa poitrine. Transparente. L'impression d'être un fantôme alors qu'elle était bien présente. Parfois, l'idée de ne plus faire partie du monde des vivants l'avait surprise, jusqu'à que son palpitant s'agite, en vie. Et peut-être qu'elle aurait préféré ne plus entendre ces battements incessants, alors qu'elle avait compris ne plus faire partie de son monde tout simplement. Toujours là, à ses côtés, sans jamais pouvoir le toucher. L'enfant solaire, de sa brillance aveuglante, ne la voit plus, elle, l'enfant de l'ombre. Des âmes claires-obscures qui se croisent sous le même toit. Une éclipse imparfaite. Et c'est le silence qui parle pour eux. Une atmosphère se voulant calme et apaisante qui n'a de cesse de remuer son ciel et sa terre. Un tremblement violent, l'emportant dans sa chute sans fin. Le regard fixe sur son téléphone, il attend, l'esprit inquiet. Peut-être n'aurait-il jamais à courir après l'amour s'il levait les yeux vers sa carcasse, ce tas d'os et de chair qu'elle était devenue à force d'attendre que ses doigts enserrent sa main. Un soupir lui échappe et elle reporte son attention sur ce morceau de pain sur lequel la confiture vient se poser. La gamine l'entend poser ses baguettes sur la table, incapable de trouver le moindre réconfort dans son plat de ramyeon, quand sa voix vient transpercer l'air, l'embarquant dans une tornade. Il ne l'avait pas vue. Bien sûr. Un demi-sourire, d'une ironie noire, vient se nicher à la commissure de ses lèvres. Mais elle ne répond pas, préférant hausser les épaules, lasse d'entamer une quelconque conversation dans l'espoir de sauver les meubles. Ils ne sont plus, et peut-être ne seront-ils plus jamais. Et à l'ironie se mêle la colère faite d'argent, silencieuse, dévoreuse. Ses oreilles bourdonnent et ne l'entendent plus. Pitié qu'il s'en aille. Pitié qu'il reste. Et elle le sent, là, contre elle. Son menton vient se nicher sur le haut de son crâne et sa main trouve, dans un naturel déconcertant, sa taille. Vif, son corps réagit au sien. Les frissons la prennent d'assaut et elle lâche calmement sa cuillère. C'est terrible, d'être aussi dépendante à une affection passagère. Terrible, d'être retournée par un contact innocent. Mais elle se veut si forte Suji, alors que la faiblesse emporte ses jambes tremblantes, qu'elle se retourne à toute vitesse pour briser ce qu'ils ont. Un toucher qu'elle déteste aimer, désirer. Sa tartine vient trouver refuge entre les lèvres du garçon et elle la lui laisse, satisfaite. « Quoi ? Eden n'est pas là ce soir ? Elle a trouvé refuge ailleurs ? » mots acerbes, vile jalousie qu'elle ne parvient à dissimuler sous son sourire hypocrite. La présence de la féline entre ces quatre murs l'écœurait à chaque fois, de par ses rires incessants alors qu'Aleksei déposer des baisers sucrés dans le creux de son cou, ou de par ses cris la nuit. Faisant passer sa colère pour un manque de sommeil, elle savait pourtant quelle était la vérité interdite. Un léger coup de poing dans l'estomac de ce meilleur ami indéfini pour qu'il s'écarte et elle s'avance jusqu'au canapé de leur salon minutieusement décoré. Trouvant sa place habituelle sur le côté gauche, elle se tourne vers le russe, sourire si faux et pourtant si vrai « Oublie pas le sucre, et j'le veux bien chaud mon café. » un ordre dit avec légèreté et taquinerie, espérant transformer cette lourde ambiance en quelque chose de plus frivole.